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   Libération du 23 mars 2001
 
 
 

Deux frères pour un orchestre planétaire

Depuis Toulouse, les Guillion dispersent des logiciels musicaux dans le monde entier et vivent des «contributions» de leurs aficionados.


Par EDOUARD LAUNET

Toulouse envoyé spécial

photoOn ne sait si les frères Guillion sont très dingues ou très raisonnables. Didier (39 ans) et Olivier (33) sont en tout cas fort discrets. Chaque matin, ils se donnent rendez-vous à 9 heures dans une petite maison (domicile de Didier) de la rue Pierre-d'Aragon, à Toulouse. Ils viennent y écouter la rumeur du monde qui leur parvient par les fils de l'Internet: une soixantaine d'e-mails quotidiens en provenance du Japon, des Etats-Unis, de Russie ou d'Europe. Messages de félicitations, demandes de renseignements, suggestions. Messages de milliers d'amis que les deux frères n'ont jamais rencontrés et qu'ils ne rencontreront probablement jamais au cours de leur vie de reclus.

Les frères Guillion sont les chefs d'un grand orchestre. Depuis 1996, ils dispersent (presque) gratuitement via leur site web des logiciels de composition musicale d'une qualité remarquable (ces programmes permettent d'écrire facilement de la musique, puis de la jouer sur son ordinateur, et ce avec tous les types d'instruments imaginables). Depuis, Didier et Olivier passent le plus clair de leur temps à peaufiner ces logiciels avec le concours de leurs utilisateurs («99 % des modifications viennent de leurs suggestions») et à organiser la circulation des œuvres que leurs outils ont permis de créer. «Nous avons développé un système de notation grégorienne à la demande de monastères. Un moine franciscain du Canada nous a aidés en nous fournissant toute la doc», raconte Didier.

Tablatures pour luth. Une équipe de vingt Japonais a pris en charge la traduction des logiciels pour les musiciens de l'archipel («nous y avons quelques centaines d'utilisateurs»). D'autres les ont aidés à créer des tablatures pour luth baroque et autre tympanon des montagnes. «Des chantiers de peu d'intérêt commercial, qui ne pouvaient être menés que via un travail coopératif et bénévole», soulignent les frères.

«Nous sommes en contact avec des gens qui ont des passions et des vrais besoins. Et s'ils arrivent à nous communiquer leur passion, on se met au boulot, mais en les prévenant: attention, c'est à vous de contrôler le travail.» C'est ainsi que les frères sont en train de découvrir l'accordéon diatonique et le finnois (adaptation pour les Finlandais d'un programme de synthèse automatique de chant). Leur site est un grand atelier permanent où les utilisateurs proposent de nouvelles fonctions et votent pour classer les chantiers par ordre de priorité. La musique est un domaine si complexe et si riche qu'il y a sans doute du travail pour pas mal d'années encore.

Bijoux logiciels. Mais que gagnent les Guillion Brothers, comme les appellent leurs amis, à se mettre ainsi au service - à temps plein! - de cette communauté internationale de passionnés? «Beaucoup de plaisir dans nos contacts, et puis 1,2 fois le Smic (environ 8 000 francs) chacun, plus les bénéfices quand il y en a», répondent-ils. Didier et Olivier ont créé une petite société, Myriad Software, dont ils sont les seuls salariés. Les revenus proviennent de modestes «contributions» (entre 90 et 390 F, soit de 13,7 à 59,4 euros) que versent les utilisateurs pour exploiter l'intégralité des fonctions des logiciels. Il suffit de payer une fois pour bénéficier ad vitam des nouvelles versions des programmes. Modèle économique improbable, d'autant que les versions disponibles gratuitement sont pour certaines quasi complètes.

Pourtant cela fonctionne: l'an dernier, Myriad a dépassé le million de chiffre d'affaires, à la grande surprise des frères. Les bénéfices ont grimpé de 1 600 francs en 1997 à près de 400 000 francs en 1999 (de 244 à 61 000 euros). C'est que leurs programmes, «Melody Assistant» et autre «Harmony Assistant», sont des petits bijoux logiciels, qu'ils font mieux que des produits commerciaux dix fois plus chers et que l'utilisateur est assuré d'un contact permanent avec leurs créateurs (nous avons testé).

«Nous ne savons pas combien de personnes utilisent nos produits, dit Didier. Nous ne connaissons que le nombre d'utilisateurs enregistrés, qui est de l'ordre de plusieurs dizaines de milliers. 40 % aux Etats-Unis, 40 % en France et 20 % pour le reste du monde, jusqu'en Chine.»

Le plus cocasse de l'histoire est que les Guillion n'ont pas de formation musicale particulière. Didier a une maîtrise de génétique et Olivier un diplôme d'informatique. Au début des années 80, encore étudiants, les frères se sont mis à bidouiller des jeux vidéo pour les premiers micro-ordinateurs. «Une bonne école. Faire tenir un compilateur graphique sur 3 500 octets, ça apprend à écrire du code», note Olivier. Ils entament une carrière de programmeurs indépendants, font un peu de tout (du programme de pilotage de scanner jusqu'au logiciel didactique sur l'eutrophisation des lacs, pour EDF). C'est en travaillant sur des générateurs de musique pour jeux vidéo qu'ils sont venus aux logiciels de composition. Et le succès croissant de ces derniers, à partir de 1994, les a incités à concentrer peu à peu leur activité sur ces programmes.

«Coureurs de fond». L'aventure start-up ne les a jamais tentés: «Nous sommes des coureurs de fond, pas des sprinters», répond Didier. Mais la pression du marché reste forte. «Une fois par mois environ, on nous propose un contrat en vue d'adapter notre produit à tel ou tel marché. On étudie les projets. Mais rares sont ceux qui sont vraiment étayés.» Alors, les Toulousains s'en tiennent au système du «logiciel contributif», qui leur réussit finalement pas si mal.

www.myriad-online.com



 



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